A la recherche du Qi (désespérément)

A la recherche du Qi (désespérément)

3 June 2019 Off By M

Précautions avant-propos

L’écrit qui va suivre est issu d’un cheminement intellectuel personnel.

Si vous doutez déjà de la médecine traditionnelle chinoise (MTC) alors que vous la pratiquez vous-même, ce qui va suivre pourrait vous faire douter davantage, mais rassurez-vous je n’ai rien contre elle, j’aime sa philosophie. Je vous livre juste une version sceptique concernant son application pratique en terme de soin. Ce qui est suffisamment problématique pour mériter d’être argumenté.

Sûr sûr ? Il est encore temps d’arrêter votre lecture ici. Car ensuite il vous sera peut-être difficile de faire marche arrière.

Alors allons-y, suivez le guide, lampe torche en main.

L’énergie : gros dossier

Je ne saurais dire quand ça a commencé, disons que j’ai toujours eu une affinité avec la notion d’énergie.
J’ai eu mon lot de biais cognitifs à ce sujet et j’en ai sans doute qui traînent encore.

Avez-vous déjà vu un mot correspondre à autant de choses différentes ? Suivant qui le prononce, la tonalité peut aller du spirituel au plus rationnel.
Concrètement, inutile d’aller bien loin pour reconnaître son existence en nous. Ne serait-ce que parce que notre corps est tout de même une sacrée machine motrice alimentée à l’énergie (en calories) pour faire fonctionner nos muscles, notre cerveau, tous nos organes, qui eux-mêmes produisent de l’énergie sous d’autres formes. Ce n’est pas tout à fait faux de dire que nous avons un corps énergétique !
Les ressentis physiques ressemblent à des vibrations, des masses circulantes, elles se nomment tantôt énergie, tantôt courant, flux, électricité.

Au cours des séances de thérapie, notamment quand un traumatisme se soigne, des sensations nouvelles affluent dans le corps des patients. Ils ressentent quelque chose qui passe d’un endroit à l’autre, des boules qui se dilatent, de la chaleur qui afflue, des fourmillements localisés. Combien de fois ai-je entendu des phrases du type ” je sens l’énergie qui circule à nouveau”. Cela peut être très étrange à vivre. Certains ont une conception New Age du terme, d’autres en parlent au sens commun, comme d’une sorte de force vitale à l’intérieur de soi.

J’ai aussi choisi le mot “énergie” pour décrire cela. Faisant fi, allez savoir pourquoi, du besoin de précision langagière qui me tient à cœur d’habitude. Car il faut bien le dire, c’est un mot valise, un mot baleine même je dirais. Une baleine qui aurait avalé vraiment n’importe quoi !

Il peut en effet se passer un long moment d’incompréhension mutuelle lorsque deux personnes parlent d’énergie. Petit conseil au passage, définissez d’abord chacun ce que vous entendez par ce mot, et ensuite échangez vos points de vue, sinon quiproquo garanti !

Energie : du grec, signifie force en mouvement.

Why la MTC ?

La médecine traditionnelle m’intriguait parce qu’il me semblait qu’on y abordait ce type d’énergie corporelle d’un point de vue à la fois original et pragmatique. J’étais curieuse de voir comment les chinois pouvaient expliquer ce que je qualifie moi-même de mouvements énergétiques internes. J’avais dans l’idée qu’ils parlaient autrement d’électrophysiologie, ou de quelque chose de ce genre.
Pour me rassurer sur la validité d’une telle approche je me suis appuyée sur les indications de l’OMS et de l’acupuncture comme préconisation pour soigner un grand nombre de pathologies. Sans chercher plus loin. On ne peux pas douter de cette autorité mondiale en terme de santé quand même !

L’esprit ouvert

Je me suis donc lancée dans la grande aventure, l’immersion était sans doute la meilleure façon de me faire une idée de la chose, comme toujours.

Je partais l’esprit assez ouvert ! Vous l’aurez compris. Je n’y connaissais à peu près rien.

J’ai entamé la première sur 4 années d’études + 1 année de spécialisation (acupuncture, médecine manuelle ou pharmacopée), validées par un diplôme tamponné de l’Université de Shanghai, après un stage de un mois sur place, à l’hôpital, avec de vrais patients chinois, nés avec une aiguille dans la main. C’est à dire pour lesquels il serait mal venu de piquer aléatoirement !

Et puis regardez, c’est une médecine ancienne de plusieurs millénaires ! Il est vrai que l’appel à l’ancienneté est un argument quelque peu idiot, ça ne prouve rien, mais cela valait le coup de m’y intéresser et piocher ce qui pouvait m’être utile.

Encore aurait-il fallu que je vérifiasse…

Je ne l’ai pas fait, vérifier. En tout cas pas avant la deuxième année de formation.

Un jour, j’ai entendu une critique acerbe à laquelle je ne m’attendais pas en visionnant une video d’un youtuber que j’aime bien parce qu’il a l’esprit critique aiguisé comme un couteau japonais. C’était en plein milieu d’un de ses speech de fact-checking à propos d’un magasine qui titrait : les bienfaits des médecines douces. Il avait dit quelque chose comme “l’acupuncture c’est du pipot”. Sur le moment, j’ai dégluti en fronçant un peu les sourcils, et puis c’est passé.

Mais, chemin faisant, cette petite phrase de rien du tout s’est trouvée une petite place confortable dans un coin de mon cerveau. L’acupuncture serait du pipot …

En approfondissant mes recherches j’ai appris que le rapport de l’OMS comportait des biais méthodologiques importants remettant en cause ses conclusions en faveur de la MTC. En savoir plus.

Je me suis sérieusement plongée dans la lecture du rapport INSERM de 2014 et j’ai compris que l’acupuncture pouvait avoir un effet certes, mais un effet dit non spécifique sur certains troubles seulement, troubles à forte composante psychosomatique ou placebo-sensibles. Plus de 200 pages à lire, bon courage !

Margaret Chan, directrice générale de l’OMS avec le président chinois Xi Jinping, à Pékin en 2016

Placez votre lanterne ici c’est intéressant. Tiens, tiens y aurait-il des conflits d’intérêts au sommet de cette noble Organisation ?

Mais revenons à nos aiguilles…

Au tout premier cours, lorsqu’on a défini le Qi (Tchi) en terme d’énergie, j’ai demandé innocemment de quel type d’énergie il s’agissait. On m’a fait répéter ma question, que j’ai reformulée en demandant quelle était l’unité de mesure. ” En joules !” m’a t-on répondu. Ils étaient deux, l’autre enseignant est venu en aide au premier pour m’expliquer qu’il s’agissait plus d’un équivalent au joule.

Notez bien cette notion d’équivalence, elle n’est pas du tout anodine dans l’apprentissage de la MTC, et elle contribue nettement à la confusion générale.

Le Qi est d’abord décrit comme une “substance invisible”. Or qui dit substance dit matière, comme l’électricité est une matière invisible, ça se tient à peu près. C’est du concret si je ne m’abuse… (Notez le petit biais de confirmation au passage)

Le Joule est l’unité d’énergie dans le système officiel international.

1K joules est la quantité de chaleur dégagée en dix secondes par une personne au repos.

1 J = environ 4K calories = 1 Watt seconde.

Wikipedia

Puis j’ai appris que le Qi est plus que ce qui circule dans les méridiens. C’est surtout la force primordiale de vie, un courant ininterrompu d’énergie reliant tout ce qui constitue le corps humain (ses organes, ses muscles, ses liquides organiques) pour former une totalité en lien avec l’environnement et l’univers.

Rendez-moi mes joules !

Un jeu grandeur nature

Si vous souhaitez continuer en MTC vous devez adopter le mode de pensée chinoise, taoïste. Nous avons, parait-il en Occident, une toute autre logique de pensée dans laquelle les contraires ne peuvent pas être vrais en même temps. Ici, le ET et le OU coexistent, accrochez-vous.

Rappelez-vous la notion d’équivalence du début. Il s’agit de faire comme si c’était pareil tout en sachant que ce n’est pas pareil. Mettez-vous en mode analogique.

Jouez le jeu et imaginez la réalité du corps et des émotions sous un tout autre angle de vue que celui que vous connaissez déjà dans la vraie vie.

J’ai joué le jeu et j’ai beaucoup aimé d’ailleurs, sans doute parce que cela a éveillé ma nature exploratrice, exactement comme devant un grand jeu de société savant, ou un puzzle aux milliers de pièces.

Il faut faire comme si le corps était mu par ce Qi, selon la théorie des 5 éléments (le bois, le feu, la terre, le métal et l’eau) et celle du Yin-Yang. On peut faire un parallèle avec nos connaissances en anatomie et physiologie humaine mais pas trop. C’est une gymnastique mentale de tous les instants !
Donc alors, ces canaux dans lesquels circulent le Qi -mais pas que- sont l’équivalent des circuits connus du corps, vaisseaux sanguins et système nerveux, mais en fait ce n’est pas la même chose.
Quant au Qi vous pouvez le ressentir comme vous sentez pulser le sang dans vos veines -mais pas que- en fait c’est autre chose.

Dès lors que vous avez saisi les règles du jeu basées sur les principes Yin-Yang, vous vous embarquez dans un jeu sans fin, assez prenant.

S’il y en a qui traînent dernière, rattrapez le groupe s’il vous plait

Tra-di-tion-nelle on a dit !

Au temps jadis, environ 2900 ans av JC, les médecins de Chine (que l’on devrait plutôt appeler des sorciers guérisseurs) n’avaient que des notions vagues et pragmatiques du corps humain. Ils le percevaient dans le vivant, en analysant les signes et symptômes divers qu’un corps sain ou malade peut produire en une journée et une nuit. De dynastie en dynastie ils sont devenus des experts, se référant moins aux prières et aux rites sacrés qu’ à un savoir empirique basé sur l’observation.

Préhistoire de la science pourrait-on dire dans l’approche, mais avec les moyens du bord sur fond de croyances et pratiques magico-religieuses. D’après certains historiens [1], l’anatomie et la physiologie chinoise se décrivaient à partir de l’imagination et de l’intuition. Les anciens chinois ne pratiquaient pas la dissection.

A l’époque c’était le must du soin, d’une cohérence intelligible et soumis aux tests des épidémies, climats rigoureux et autres contraintes de la vie. Mais l’expérimentation restait forcément précaire et approximative. Ils percevaient les manifestations du vivant et trouvaient des analogies avec leur conception des lois universelles régissant la nature. Tout est mouvement et alternance, polarité et homéostasie. Ainsi l’être humain est-il lui-même un système miniature représentatif de ces lois. Tout blocage ou dérèglement dans cette organisation systémique est à l’origine de la maladie.
Cette médecine qui s’est passée des techniques modernes, est donc assez avant-gardiste aux vues de ses découvertes qui ont été validées des siècles plus tard comme la sensibilité du rein au sel, le rapport entre le pouls et le rythme cardiaque et la façon de réguler avec la respiration, etc. Il aurait d’ailleurs été étonnant qu’ils ne tombent pas juste de temps en temps, statistiquement parlant. Mais face à l’étendue du savoir médical actuel, il n’y a aucune comparaison possible. La MTC est restée ancrée dans sa conception traditionnelle.
Elle se réfère toujours aux textes anciens comme le HUANG DI NEI JING datant du Vème siècle avant notre ère.
Elle a même été interdite au XIXème siècle par l’Empereur de Chine Daoguang pour “obstacle au progrès de la médecine”.

Tradition :
Ensemble de légendes, de faits, de doctrines, d’opinions, de coutumes, d’usages, etc., transmis oralement sur un long espace de temps.

Larousse

La tradition a souvent le dessus sur la logique, la MTC n’y fait pas exception.
Les étudiants en médecine traditionnelle chinoise ne sont pas trompés sur la marchandise pourtant, il est bien noté dans l’intitulé qu’il s’agit de tradition ! Alors de quoi se plaint-on ?

Cette observation de l’homme in vivo nous est présentée comme humaniste comparée à l’apprentissage froid sur des cadavres. Certes c’est séduisant mais on oublie une petite chose quand même, c’est que ce type d’approche pour appréhender l’invisible à l’œil nu reste très limitée et fortement dépendante d’un mode particulier de recherche qu’on appelle la devinette. Le Qi ne se voit pas mais on va imaginer qu’il se déplace de telle façon et qu’il produit tel phénomène. C’est faire un gros pari sur la réalité du fonctionnement de l’organisme !

Ceux qui ont un peu la tête qui tourne, il y a possibilité de rejoindre la sortie par là : EXIT

Qi où te caches-tu ?

Au delà de la théorie, j’ai eu besoin d’en savoir plus. J’ai signé pour une année supplémentaire. J’avais été séduite par le package ancestral et philosophique, je savais à peu près comment enquêter pour savoir de quoi souffre le patient. Maintenant il fallait passer au concret, j’étais pressée, curieuse ! Si ça marche, dixit vous les profs, dixit l’OMS, allez ! Montrez-moi comment un point d’acupuncture peut être thérapeutique combiné à d’autres. Vous semblez tellement sûrs de vous.

Comment faire pour “saisir le Qi” ? Je n’ai jamais eu de réponse claire, et pour cause la réponse est ailleurs

Nous sommes formés dans l’idée que le Qi est une autre appellation physiologique de ce qui est déjà connu. On se garde bien de parler des sujets qui fâchent ou on baisse la voix en évoquant le niveau “subtil”. J’imagine que c’est la même chose dans l’enseignement de l’homéopathie. Je ne suis pas sûre que l’on aborde la question de la mémoire de l’eau tout de suite, si ?

Que fait l’acupuncteur quand il puncture, ou stimule, un point ?

Un point, parce que “vide”, ne peut être défini par des structures anatomiques qui expliqueraient son action. D’ailleurs, nous ne savons pas le mode d’action de l’acupuncture, ou plutôt nous ne savons pas expliquer comment des milliers de combinaisons différentes produisent des effets divers. Reste donc à nous tourner vers la tradition chinoise et à revenir à la notion de Qi. Qi, lié à la forme, à la manifestation, à l’apparition d’une forme est peut-être information. Puncturer un point permettrait alors de rappeler à l’organisme une information qu’il a oubliée ou qu’il ne met plus en circulation dans l’économie générale.

Dr Jean-Marc Kespi, Médecine traditionnelle chinoise, l’homme et ses symboles, 2013

Le Qi dépasse de loin la simple notion d’énergie. Tout ce qui est force de vie en nous, aussi bien dans les battements de notre cœur que dans notre souffle, tous ces fluides qui circulent partout, les liens fonctionnels entre nos organes, nos émotions et notre esprit, tout cela correspond au Qi selon sa fonction et sa localisation. Depuis toutes ses formes, dans tout et partout, tout le temps.

Vertigineux ! On dirait Dieu.

Il n’est de facto pas mesurable en joules, évidemment. Le Qi n’est pas mesurable tout court, malheureusement. Tel qu’il est défini, personne n’a pu le mettre en évidence jusqu’à maintenant. Pas très étonnant vu que la science ne prétend pas pouvoir étudier ce qui n’est pas matière (visible ou invisible). Pas très étonnant non plus car chercher quelque chose de présent en tout, c’est assez vaste comme champ d’étude. Une définition claire du Qi serait bienvenue, mais est-ce vraiment une volonté de la MTC de s’accorder à la science ? Je répète : tra-di-tion-nelle.

  • Soit les chercheurs ont mal cherché.
  • soit il n’y a rien à trouver, vu qu’il n’y a pas d’effet spécifiques des points d’acupuncture.
  • soit il y a quelque chose et il faudrait attendre que la science progresse un peu plus.
  • (Cochez la réponse la plus probable)

EXIT ! EXIT !

Preuve d’efficacité : zéro et demi, flûte de flûte !

Avant même de se poser la question du Qi, la logique voudrait que l’on se demande d’abord s’il y a un intérêt à le faire. Car il est inutile d’expliquer la présence d’un effet si ce dernier n’a pas été mis en évidence. Autant brasser de l’air.

Nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point.

Bernard de Fontenelle – Histoire des Oracles, 1687

Les études positives révélant une efficacité de la MTC à travers l’acupuncture sont moins nombreuses que celles qui ne prouvent rien mais elles sont davantage mises en avant. De plus, il a été noté que les études montrant des résultats probants ont une méthodologie plus discutables (échantillon pauvre, pas de groupe contrôle, etc).

Le bilan global de l’évaluation de l’efficacité de l’acupuncture est simple : les revues Cochrane des essais d’acupuncture dans 42 indications différentes concluent uniformément que les preuves de l’efficacité de l’acupuncture comparée à une acupuncture placebo sont soit manquantes soit insuffisantes. Des trois essais parus dans des revues de premier plan et ayant inclus environ 1000 patients chacun, deux sont déjà inclus dans les revues Cochrane correspondantes, il n’y a donc pas lieu d’y revenir. En effet dans chaque indication étudiée, il faut prendre en compte l’ensemble des données des essais disponibles, toute sélection étant suspecte. Le dernier essai ne met pas en évidence de différence entre l’acupuncture vraie et l’acupuncture placebo. Il est donc urgent de créer un groupe de travail réunissant des acupuncteurs et des spécialistes des essais pour faire enfin les essais de l’envergure imposée par l’étendue de la pratique. Il est impossible de dire aujourd’hui si l’acupuncture est un placebo efficace ou si l’insertion d’aiguilles en des points déterminés par la tradition chinoise a une efficacité supérieure à un placebo similaire.”

Rapport d’expert par Catherine Hill Epidémiologiste, sur le document de l’INSERM, p. 134 [2]

Le Qi qu’on croyait qui n’existait pas mais qui n’existe !

Mes collègues les plus fervents me diraient ” Mais si, il existe, on peut le sentir, moi je l’ai senti j’te jure !” Il est là, il est là ! Je l’ai senti me traverser toute la jambe, en plus le long du méridien, c’est quand même une preuve !”

Je vous crois les amis, moi aussi j’ai senti des trucs bizarres. Mais cela ne me dit pas que c’est lui (je parle du Qi hein, pas de Dieu). J’ai envie d’y croire je vous assure, mais personne ne m’a convaincu. Je ne fais pas assez d’effort ? Il faut que j’attende d’avoir des années de pratiques ? Pas assez motivée ? Pas assez la foi ? Peut-être…

Ou peut-être que tout simplement je préfère suspendre mon jugement en attendant des preuves convaincantes. Si vous me répondez que je ne suis pas prête à entendre que des choses invisibles nous dépassent et ne sont pas encore à notre portée mais que cela ne veut pas dire que cela n’existe pas, je vous dirai que de me baser sur la foi pour soigner ce n’est pas mon dada.

Raisonnement basé sur la réalité foi

On nous explique que la sensation du Qi produit tels et tels phénomènes (fourmillement, chaleur, picotements, électricité), alors dès que nous rencontrons les mêmes réactions sur nous ou notre gentil cobaye, qu’est ce qui nous vient à l’esprit automatiquement ? Et bien que nous sommes en présence de la manifestation spontanée de ce fameux Qi.

Mais regardons de plus prêt cette formule :

Le Qi entraîne Cela donc si Cela arrive alors c’est le Qi

C’est un raisonnement erroné, parce qu’il est circulaire. Il part du principe que le Qi existe, et de cette prémisse démontre qu’il existe. Pour donner un autre exemple : Dieu existe, la preuve, c’est écrit dans la Bible, dictée par la main de Dieu.

Encore un : Le Marsupilami existe, parce que j’ai envie.

Le bonheur est dans le champ des possibles

Là où c’est encore une fois trompeur c’est que comme il s’agit de quelque chose qui désigne tout et son contraire, on peut toujours trouver des manifestations concrètes, très palpables qui peuvent correspondre dans le lot à ce que l’on attend de manière subjective.

Il y a toujours moyen, peu importe la porte d’entrée, de trouver son bonheur en prouvant l’existence du Qi qu’elle soit abstraite, spirituelle, magnétique ou sensorielle.

Ou pas !

On ne peut manifestement pas s’asseoir sur le mot chaise

Le Qi est aussi bien plus qu’un concept, c’est un symbole, c’est aussi une métaphore, un principe, une théorie, une interprétation du vivant, que dis-je, c’est une information !

Le Qi est selon moi le chainon manquant qui relie des notions abstraites avec des phénomènes physiques. Le fameux pont entre immatériel et matériel.

Parmi ces notions on trouve celle de déséquilibre, blocage, de mouvement. C’est très ingénieux comme concept, et ça se tient bien, vu de dedans. Mais dès lors que l’on accède à la pratique ça ne peut plus fonctionner. On n’a jamais vu un blocage en chair et en os, ça n’existe pas en vrai. De la même façon, le Qi n’existe pas en tant que donnée du monde réel, c’est une donnée symbolique, explicative, ça s’arrête là. On ne trouve pas de flèche dans la nature qui se ballade. A la rigueur on peut dire “oh tiens regarde on dirait une flèche !” (Remplacez flèche par Qi)

En MTC il est dit que l’on peut agir sur un déséquilibre manifeste (un syndrome) après avoir effectué un “bilan énergétique”. Le traitement sera en fonction du diagnostic, acupuncture, moxibustion, pharmacopée, médecine manuelle.

Par exemple en acupuncture on va disperser ou tonifier le Qi au niveau de points spécifiques.

Mais agit-on physiquement sur une image, je vous le demande ?

Non, une image n’a pas de chair à piquer ni d’os à replacer, ni de muscle à masser. Ce n’est pas sur le Qi que l’on agit mais avec son corps sur celui de quelqu’un d’autre. Les sensations qui apparaissent à la puncture d’un point, tout à fait réelles, sont des réactions physiologiques qui peuvent s’expliquer par la stimulation du système nerveux, sensitif, moteur et même hormonal. Le Qi est la vision imagée que l’on peut avoir de tout cela, simplifiée, intuitive, voire poétique.

Le premier point du méridien de l’estomac s’appelle réservoir des larmes. Le deuxième du rein, vallée illuminée. Le 20 vésicule biliaire, étang du vent.

C’est comme on veut, soit on imagine que ce flux qui parcourt notre jambe est du Qi qui circule à nouveau là où il était bloqué, version métaphorique. Soit on opte pour la version neurophysiologique en disant que c’est un influx nerveux qui se propage à la suite d’un stimulus sensoriel externe, crée des modifications chimiques et envoie des informations au système nerveux central.

Le problème c’est que dans l’enseignement de la MTC, on fait comme si l’image était réelle. Cela revient à dire que l’on peut s’asseoir sur le mot chaise.

Le Qi de mes rêves

Ce qui nous sauve de l’absurde, c’est de rester au niveau de l’imaginaire. A ce moment là je n’ai plus rien à dire. J’arrive parfaitement bien à imaginer le Qi. Il serait d’un bleu clair lumineux, avec une texture douce et tiède. Parfois j’aurais l’impression qu’il se diffuse depuis un endroit ou autre part comme entortillé dans ses filaments.

En matière de soin, restons humbles

Le corps d’un individu existe lui. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Alors comment on fait ?

Je dois dire que c’est assez amusant de jouer à l’apprentie sorcière avec mes gentils camarades cobayes. J’ai tonifié des reins, j’ai renforcé des rates, j’ai harmonisé des estomacs et j’ai apaisé des cœurs.

Néanmoins, le jeu a des limites. Je veux bien suspendre mon incrédulité mais quand c’est trop gros, ça devient impossible. Pourquoi nous parle-t-on d’épilepsie, de démence, de crise d’appendicite, d’état maniaque ?

Je me vois mal calmer un état maniaque en plantant des aiguilles. A moins qu’on ne parle pas de la même chose, c’est fort possible. Il s’agirait en fait de la plus proche description chinoise du trouble. Mais alors on traite quoi ? Un médecin chinois est capable, par de savants calculs à partir des signes et symptômes, d’établir un diagnostic qui a l’air très plausible. Sauf que c’est la méthode de traitement qui pèche. C’est bien là le gros souci.

La méthodologie à partir de la théorie semble au point, mais l’application matérielle sur un corps est illusoire pour les raisons citées plus haut. Une image n’agit pas sur la matière. Lorsque l’on croit avoir des résultats il faut avant tout vraiment se demander si le principe actif est l’acupuncture, le massage, la pharmacopée et non autre chose. L’amélioration d’un état peut en effet avoir beaucoup de causes :

  • l’effet placebo (qui est un effet réel dans le corps)
  • la guérison naturelle (qui se serait faite de toute façon sans traitement), ou
  • une guérison supposée. Le patient croyant trop vite être guéri alors qu’il ne l’est pas vraiment, ou grâce à autre chose. Enfin il est encore possible que le patient ne veuille pas décevoir son thérapeute.

Je ne nie pas qu’il puisse y avoir de réels effets, et j’ai d’ailleurs constaté des résultats surprenants même en interrogeant la personne sur d’éventuelles autres raisons cachées de sa guérison. Difficile de savoir. Je pense que les médecins traditionnels chinois ont vraiment des pépites dans leur trousse de soin. Dépoussiérée de la tradition, il serait possible d’en extraire des modes de traitement efficaces pour telle et telle chose précise, que la médecine conventionnelle ou les traitements de grand-mère ne préconisent pas déjà.

Attention, dernière sortie avant la fin de la visite. Serrez un peu au fond.

Vous reprendrez bien un peu d’excréments d’écureuils volants séchés au soleil ?

Il y a eu un prix Nobel de médecine attribué en 2016 pour récompenser les recherches sur l’artemisia annua (plante très utilisée en MTC) dans le traitement du paludisme. Beaucoup de plantes à l’étude. De quoi remonter le moral!

C’est assez utile, le moral, quand vous entendez parler de crottes d’écureuil au milieu des racines de ginseng et autre tubercules. Dès que vous commencez à y croire un peu, on vous ressort la tradition de derrière les fagots comme pour vous rappeler qu’il est inutile de chercher la logique, encore moins les preuves.

Sans façon…

La carte n’est pas le territoire mais la carte est belle.

La MTC est une gigantesque carte représentant le réseau de communication de ce qui vit et circule en nous. Version imagée, métaphorique, et pour certains, spirituelle. Elle représente l’héritage très précieux de la façon dont on a pu comprendre le fonctionnement humain non pas seulement son corps mais tout son être, ses émotions, son contexte de vie, en lien avec son environnement aussi changeant que le climat et les saisons. C’est un art de vivre appartenant au domaine préventif.

Qi versus pulsions de vie

Pour ma part, j’ai enrichi ma palette pour ce qui est du langage thérapeutique. Les symboles, les paraboles, sont une façon de parler au corps et au mental en même temps. Comparée à la psychanalyse, j’aurais préféré de loin étudier à la fac les principes Yin-Yang et du Qi liés aux troubles mentaux et psychosomatiques, plutôt que d’en savoir de long en large sur la libido (énergie de vie elle aussi tiens !). Je trouve que la clinique s’y prête beaucoup mieux en termes de compréhension !

Le Qi reste introuvable mais ça ne fait rien, ça marche quand même…

Bravo vous êtes arrivés ! Merci à ceux qui m’ont suivie jusqu’au bout.

Références

[1] Théodoridès Jean. P. Huard et M. Wong, La médecine chinoise au cours des siècles. In: Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 13, n°2, 1960. pp. 167-169. www.persee.fr/doc/rhs_0048-7996_1960_num_13_2_3830

[2] Rapport INSERM, 2014 – Evaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’acupuncture